PHILIPPE SOLLERSLE JOURNAL DU MOIS
Goncourt Le Président a raison : à l’ère spectaculaire, il ne faut pas laisser deux minutes au spectateur. Il doit être sans cesse réveillé, bousculé, empoigné, déménagé, intrigué. Tout va si vite que l’épisode d’hier est déjà emporté par celui de demain, et nous irons ainsi, à toute allure, de surprise en surprise. L’opposition court après l’épisode Kadhafi ? C’est déjà loin. L’énigme ; Cécilia ? C’était il y a dix ans. L’avenir de la gauche ? Revenez à la case départ, c’est-à-dire à la fin du XIXe siècle. Non, la seule question intéressante des prochaines semaines, c’est de savoir si le Président (ou plutôt Yasmina Reza) aura le Goncourt. À mon avis, pour des raisons hautement historiques, il le faut. On aurait ainsi la réédition du Goncourt de Marguerite Duras dans le sillage de Mitterrand. L’amant, rappelez-vous, un million d’exemplaires, et ensuite des entretiens au sommet qui sont dans toutes les mémoires. Le moment est venu de faire moins provincial, plus cosmopolite, plus mondial. Je n’ai pas encore lu le Reza, mais j’imagine que les réseaux s’activent dans l’ombre. Le bouquin est sûrement enlevé, captivant, théâtral, susceptible d’une transposition scénique immédiate avec comédiens doués, sans parler d’une série télévisée qui s’impose, ou d’un film en plusieurs épisodes. On attend déjà la suite. Et puis Reza et Sarkozy reçus ensemble chez Drouant, quelle gueule ça aurait ! Quelle fête ! Vous n’allez quand même pas me dire qu’il ne s’agit pas d’un vrai roman !
Bush La vie survoltée du Président m’intéresse : c’est la chevauchée fantastique, en avion, en bateau, en hors-bord. Le Président a des amis fortunés partout, il tient à le faire savoir aux Français racornis dans leurs petites vacances maussades. Le voici luxueusement installé aux Etats-Unis, et invité par Bush à déjeuner. Là, on voit bien à quel point les Américains déclinent et sont vulnérables. Pas de homard grillé traditionnel pour notre Président? Seulement des hot-dogs et des hamburgers « au choix », comme dans un vulgaire McDo? Quelle radinerie! Quel scandale! Une petite virée sur l’eau, conduite par Papa, et pas le moindre espadon brandi? Misère. Ces Bush, que voulez-vous, déjà sur le départ, sont des caricatures : le père, le fils, la femme, l’énorme Mémère, les enfants et les enfants des enfants, quelle lourdeur sur fond de Bagdad ! En plus tarte, ces jours-ci, je ne vois que Mazarine Pingeot, photographiée, enceinte de son deuxième enfant, pour vendre son livre. D’accord, on reçoit le Président d’un petit pays, d’un dominion de sous-traitance, mais ce n’est pas une raison pour le traiter comme un garagiste ! Lui mettre sans arrêt la main sur l’épaule, se pencher sur lui, comme sur un enfant, pour voir s’il est content et s’il a bonne mine! On comprend Cécilia et son « angine blanche » (un ange passe, et il n’est pas forcément blanc). Angine ou angyne? Allez savoir. Quoi qu’il en soit, bien joué, l’honneur national est sauf. D’autant plus qu’on a vu la malade se balader le lendemain en tee-shirt et short pour faire du shopping. Le Président est allé jusqu’à dire que c’était lui qui avait contaminé son épouse (donc par un bouche-à-bouche). Aux dernières nouvelles, mais c’est peut-être une rumeur malveillante, on me dit que toute la famille Bush est au lit avec des angines blanches carabinées. Voilà la vengeance du homard !
Notre-Dame Le Président a longuement hésité. Fallait-il interrompre ses vacances de rêve et rentrer à Paris pour les obsèques solennelles du cardinal Lustiger à Notre-Dame de Paris ? La République pouvait-elle se montrer catholique ? Le triste Fillon suffisait-il comme représentation ? Vite fait, bien fait : le Président prend l’avion (au moins quatorze heures aller-retour), déboule à l’heure sur le parvis de la cathédrale, on lui donne des fauteuils un peu grands pour lui. Là, le grand jeu de l’au-delà commence : terre d’Israël minutieusement versée dans un bol sur le cercueil, kaddish dit en araméen (langue que parlait Jésus, soulignent les commentateurs), entrée dans la cathédrale sur fond de requiem chanté en latin, discours en français du successeur, un peu pâle, de Lustiger, éloge spiritualiste, mais fatigué, de l’Académie française, message du pape lu de façon légèrement pincé (pourquoi?) par le cardinal Poupard. C’est parfait. Tout cela très insolite et d’ailleurs émouvant et beau (la chorale de Notre-Dame est en net progrès), puisque ce n’est pas tous les jours qu’un cardinal, juif, et français, monte au firmament du Saint-Siège. J’entends, ici et là, des murmures. Je les fais taire. Ils sont déplacés. Pensons plutôt à la fatigue du Président, déjà sous angine, passant d’un enterrement éprouvant aux bourrades de son camarade de chambrée, tout en emportant avec lui une biographie de La Fayette. Les Etats-Unis, il ne faudrait pas l’oublier, ont existé grâce à nous. Vous savez combien il y avait d’Américains, il y a deux cent cinquante ans ? Non, le président McDo ne le sait pas. Seulement quatre millions, assène notre Président, qui, visiblement, a préparé son effet, sachant qu’on a supprimé le homard grillé.
Journaux À part la passionnante enquête du Journal du Dimanche sur les sept péchés capitaux dans laquelle quelques grandes vedettes, avec des photos géantes, sont restées quand même plutôt évasives sur la luxure, mes séries préférées de l’été ont été, dans Le Figaro, les reportages de François Hauter sur la Chine et la diaspora chinoise à travers le monde, et la bande dessinée de Libération, Tigresse blanche, épatant délire de Conrad et Wilbur. Hauter nous raconte que la psychanalyse connaît un développement foudroyant chez les Chinois, de plus en plus stressés par l’évolution brutale de leur société. Après « l’oncle Marx », « l’oncle Freud »? se demande-t-il. Ça me donne presque envie d’ouvrir un cabinet là-bas, avec séances courtes, ultra-zen, à la Lacan. Après quoi, récit de mon expérience, Un divan à Pékin, best-seller automatique, surtout après les Jeux olympiques. Mais non, je recule devant la pollution.
Pollution Des crétins sont allés verser de l’huile de vidange sur des livres, dans une librairie de province. Le prétexte ? Un colloque sur « la nuit sexuelle », titre d’un livre publié bientôt de Pascal Quignard (1). Il y avait aussi, pour chauffer les esprits fragiles, des projections de films d’Oshima et de Pasolini. Le problème est que tout ça avait lieu dans une moitié d’abbaye, l’autre moitié étant occupée par des moines. Une pollution nocturne des moines? Impossible. Un commando intégriste situationniste? Qui sait? Après tout, Dieu a ses dévots, souvent commandés par le Diable.
Lectures La rumeur vous a sûrement avertis : vous devrez lire impérativement Cercle de Yannick Haenel (2), qui surplombe, de loin, tous les romans de la rentrée, et, dans la foulée, De l’extermination considérée comme un des beaux-arts, de François Meyronnis (3), étourdissant démontage du nihilisme de notre temps, à travers, par exemple, les livres de Houellebecq. Mais, pour l’instant, les amateurs se procureront la réédition des Ecrits sur l’art et les artistes, de Diderot, choix de textes, introduction et notes par Jean Seznec, avec trois textes importants de Jean Starobinski, Michel Delon et Arthur Cohen (4).
Et voici Diderot parlant de Chardin : « On s’arrête devant un Chardin comme d’instinct, comme un voyageur fatigué de sa route va s’asseoir sans presque s’en apercevoir dans l’endroit qui lui offre un siège de verdure, du silence, des eaux, de l’ombre et du frais. »
Philippe Sollers (1) Flammarion.(2) Gallimard, L’Infini.(3) Gallimard, L’Infini.(4) Hermann
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