mai 2008 |
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PHILIPPE SOLLERSLe journal du moisBenoît XVI avec l'Orchestre Philharmonique de Chine, le chef de l'orchestre Yu Long , la mezzosoprano Cao Zheng et la soprano Rao Lan, le 7 mai 2008 au Vatican.
D’après mon ami, pas du tout fou et très renseigné, les vraies négociations entre Lhassa et Pékin, ultrasecrètes, portent sur un rouleau spécial que les Chinois connaissent mais ne peuvent déchiffrer qu’à moitié (Mao lui-même en a eu connaissance). Bien entendu, la funèbre et criminelle junte birmane est tenue à l’écart de ces consultations. Pour elle, comme pour les Farc en Colombie, pas de quartier. Avec les Chinois, au contraire, le jeu est infiniment plus subtil et complexe. La Chine, en effet, contrairement à ce que pensent les médias occidentaux, n’est pas une Birmanie agrandie et barbare. Quoi qu’il en soit, la partie est en cours, l’échiquier vient d’être renversé, on repart à zéro dans les coulisses. Cela me rassure puisqu’un des premiers signes de détente apparaît dans la propagande chinoise, radoucie à l’égard de la France. Mon ami est français, rien à voir avec le bonze Ricard, il sait ce qu’il dit, il travaille à la détente, je lui fais confiance. Mais tous ces morts ? Et les fausses photos de charniers d’Hiroshima publiées par Le Monde ? Eh oui, c’est affreux. Y a-t-il encore plus inquiétant, plus horrible ? Oui, la mère de Michel Houellebecq, sortie des enfers pour poursuivre son fils de sa malédiction. Pas bouddhiste pour un sou, pourtant, la vieille.
La photo la plus impressionnante est quand même celle de Ségolène Royal agenouillée dans l’église du Saint-Esprit, à Florence. Aucun doute, elle est là, toujours aussi belle. Elle prie devant un autel. Dieu est-il socialiste ? On l’a dit. Va-t-il prendre la direction du parti ? Ce serait beau, mais il faut que Delanoë et Strauss-Kahn trouvent une parade. Un petit tour au Vatican, comme celui du Président, désinvolte en chanoine, ne leur ferait pas de mal. Le pape, d’ailleurs, mine de rien, a déjà voté en musique puisqu’il vient de recevoir l’Orchestre philharmonique de Chine et les choeurs de Shanghai pour un concert magnifique et plein de ferveur : le Requiem de Mozart. On sait que ce très étrange Benoît XVI pianote un peu de Mozart tous les matins, dans ses appartements privés, et qu’il tient à le faire savoir : ça le repose, ça l’inspire. C’est ce qui s’appelle avoir Dieu au bout des doigts. Très habilement, tout en louant l’« humanisme universel » de Mozart (n’est-ce pas ?), le pape a pris soin d’accueillir, à travers les musiciens et les chanteurs et chanteuses (deux ravissantes lui serrent vivement la main), le grand peuple chinois tout entier, qui, a-t-il dit, va organiser bientôt un événement d’une grande importance pour l’humanité : les Jeux olympiques. Et pan sur le dalaï-lama, ce Père Ubu chéri des Occidentaux crédules. Le Requiem, d’accord. Mais le tremblement de terre-massacre qui suit ? Mon ami occulte (ne serait-il pas jésuite ?) hoche la tête, voulant dire par là : « Je suppose que les voies du Ciel sont impénétrables. » On se souvient que le tremblement de terre de Lisbonne avait fait, à l’époque, un effet violent sur Voltaire, qui doutait, surtout après la Saint-Barthélemy, que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Dieu est-il royal, socialiste ou papiste ? Qui nous le dira ? J’essaie, une fois de plus, de joindre Victor Hugo par tables tournantes mais la ligne est très occupée (Delanoë, peut-être ?) Quant à Voltaire, surtout depuis le Festival de Cannes, il est carrément aux abonnés absents. Je me rabats sur l’extravagant pasteur d’Obama, fondateur de l’Église unie du Christ et de la Trinité (Chicago), mais le candidat démocrate a fait couper son portable. Si vous avez des nouvelles (encore que cette Église me paraisse des plus bizarres), renseignez-moi.
Je renonce à vous parler du glissement à droite de l’Angleterre et de l’Italie, où de brillants bouffons s’illustrent chaque jour. Je renonce aussi aux poubelles de Naples, à la grève larvée des lycéens et des enseignants, à celle des marins-pêcheurs, qui pourtant me touche davantage, aux petites rafales de couacs dans la majorité, etc., etc. Le crime d’envergure l’emporte, tel celui de l’incroyable Fritzl, en Autriche : viol et inceste avec sa fille, laquelle lui a donné (comme on dit) six enfants dans un souterrain aménagé en bunker. Voilà un homme. Et le spécimen Fourniret, aidé de sa femme lui rabattant des vierges, violées puis assassinées. Voilà un couple. Cette obsession de la virginité chez ce professionnel du crime a de quoi faire rêver à Lourdes. Tout à fait entre nous, je me demande si la cause de ces folies, de plus en plus exhibées, ne vient pas de Mai 68, et surtout des anciens maos. Je lis aujourd’hui même, dans un magazine populaire, que « Philippe Sollers se fatigue dans le reniflage des moisissures de la France » (sic). Cela me rappelle qu’un journaliste, s’en prenant à Sartre, après la guerre, accusait le pape de l’existentialisme d’une perversion peu commune : il draguait des jeunes filles à Saint-Germain-des-Prés, les emmenait chez lui, ouvrait une armoire et leur faisait renifler un camembert pourri. C’est Simone de Beauvoir (elle-même en a vu bien d’autres) qui raconte cette anecdote inventée. Oui, l’affaire est entendue : les mecs sont coupables. D’ailleurs, les Chinois sont coupables de tout. Les Chinois et les Iraniens, bien entendu, dont on s’étonne qu’ils n’aient pas encore la bombe atomique qu’ils méritent.
J’arrête ici mes « reniflages » pervers. Je vous propose du grand air, une sortie dans les bois, une fugue de liberté, de poésie et d’amour. Vous achetez seulement trois Pléiade, et vous aurez droit (munificent Gallimard !) à l’album André Breton bourré de documents, de trésors. Laissez là votre pénible lecture des assommants romans qu’on vous propose, les traductions déferlantes du réalisme poussif américain. Sortez, sortez, découvrez l’inventeur du surréalisme et ses fidélités indestructibles : Lautréamont, Rimbaud, Duchamp, Picasso. Vous aurez envie de trouver ou de retrouver ses livres magiques : Nadja, L’Amour fou, Arcane 17 et, bien sûr, les Manifestes, qui vous paraîtront soudain frais, actuels, prophétiques, essentiels. Après tout, il est possible qu’un jeune homme d’aujourd’hui, fatigué de la débilité ambiante, s’émeuve en lisant ces lignes : « L’homme propose et dispose. Il ne tient qu’à lui de s’appartenir tout entier, c’est-à-dire de maintenir à l’état anarchique la bande chaque jour plus redoutable de ses désirs. La poésie le lui enseigne. Elle porte en elle la compensation parfaite des misères que nous endurons… Il y aura encore des assemblées sur les places publiques et des mouvements auxquels vous n’avez pas espéré prendre part. » Cela est écrit en 1924, c’est-à-dire aujourd’hui et demain, en somme. Et encore : « Parmi tant de disgrâces dont nous héritons, il faut bien reconnaître que la plus grande liberté d’esprit nous est laissée. À nous de ne pas en mésuser gravement. » PHILIPPE SOLLERS
L'Osservatore Romano du 9 mai 2008
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un extrait du concert: