Heidegger était-il nazi ? antisémite ?
Par Eryck de Rubercy
… Quelle n’aura été la perplexité des lecteurs d’Être et Temps lorsqu’ils prirent
connaissance des termes du discours du rectorat (Rektoratsrede) de Heidegger,
prononcé en 1933 lors de sa prise de fonction en tant que recteur de
l’université de Fribourg-en-Brisgau? Ni l’erreur de jugement commise, qui est
généralement invoquée, sinon une certaine naïveté politique, ni la démission de
son poste au bout d’un an ne peuvent ici paraître suffisantes pour le disculper
ou clore les polémiques. C’est en l’occurrence Philippe Sollers qui, sur ce
point si sensible, est le plus clairvoyant lorsqu’il affirme : « Si
le nazisme est un événement capital de l’histoire, seule la pensée de Heidegger
permet d’en saisir les enjeux véritables. La seule critique de l’achèvement du
nihilisme, c’est-à-dire de la métaphysique elle-même, comme domination mondiale
de la technique, comme mise en place du conditionnement biologique de l’être
humain, cette critique, nous la lui devons. Là-dessus le mensonge est presque
total. » Et c’est le même Sollers qui, dénonçant une certaine volonté de
nuire à l’œuvre de Heidegger, dit si bien : « Sa grandeur, c’est de
penser l’exacerbation du nihilisme européen. C’est cela encore une fois, qui le
rend insupportable à tous les clergés. (…) Admirez, dans ce secteur, le
mouvement pavlovien à l’endroit de Heidegger. Lisez en diagonale la presse à
prétention intellectuelle et vous verrez, vring ! vring ! l’agression permanente contre celui qui dénoue le nœud du
nihilisme. Qu’il soit l’objet d’une exclusion aussi obsessionnelle montre que
l’enjeu est brûlant. »
Eryck de Rubercy, Revue des Deux Mondes, avril 2014