L’ÉCOLE DU
MYSTÈRE
Mouche, photo de Willy Ronis, 1946
C’est ma sœur. Elle a 15 ans, moi 10.
Bien qu’elle s’appelle Manon, son surnom, dans cette grande maison de Bordeaux,
avec sa vieille cheminée flambante, est Mouche.
Une photo qui fait mouche, c’est très
rare : il faut que le cœur de la cible saisisse l’apparition d’une
divinité.
Mouche est
une sorcière ou une fée, ça dépend des heures. Elle veille sur moi, me protège,
m’agresse, me fuit, me rejoint, m’embrasse, m’ignore, ne me parle plus, ou,
brusquement, chuchote. Elle conjure le feu, le repousse, lui jette un sort. Elle est en grande combine avec l’enfer, jamais
froid aux yeux, surveillant toujours son fourneau alchimique. Elle est d’une
raison et d’une pureté fanatiques. On joue beaucoup ensemble, et elle m’évitera,
plus tard, le suicide, ce beau tison de gloire, comme l’a dit un poète
français.
Je l’adore.
Il n’est pas impossible qu’elle m’aime.
Philippe
Sollers
METTRAY n°8.
Septembre 2015. Dire une photographie
|