
ALFRED
HITCHCOCK'S SURPRISE ENDING
"Un
biographe prétend que le metteur en scène, à la fin de sa vie, rejetait la
religion. Ce n'est pas vrai. J'étais là". Témoignage d'un jésuite
américain, recueilli par le Wall Street
Journal
La fin surprise d'Alfred Hitchcock
Par Mark Henninger
Je me souviens quand j'étais un jeune
garçon et je regardais à la télévision la série en noir et blanc Alfred Hitchcock présente, d'avoir été immédiatement captivé par les neuf traits de crayons caricaturant
le profil rond du célèbre réalisateur. Le thème musical espiègle mettait dans
l'ambiance, tandis que Hitchcock apparaissait en silhouette à partir du bord
droit de l'écran, puis entrait au centre, remplaçant la caricature.
"Bonsoir".
Suivaient ensuite ses introductions si
drôles et si différentes de toute autre chose à la télévision.
Ces émotions d'enfance me sont revenues
quand au début de l'année 1980, j'entrai dans sa maison de Bel Air, et le vis assoupi sur une chaise dans un coin de son salon, vêtu d'un pyjama noir.
À l'époque, j'étais un étudiant diplômé
en philosophie de l'Université de Californie à Los Angeles, et j'étais (et suis
encore) un prêtre jésuite.
Un jeudi, Tom Sullivan, un confrère prêtre,
qui connaissait Hitchcock, me dit que le lendemain, il irait entendre Hitchcock
en confession. Tom me demanda si le samedi après-midi suivant, je pourrais
l'accompagner pour célébrer une messe dans la maison d'Hitchcock.
J'étais abasourdi, mais bien sûr, je dis
oui. Ce samedi, quand nous découvrîmes Hitchcock endormi dans le salon, Tom le
secoua doucement. Hitchcock se réveilla, regarda autour de lui, et baisa la
main de Tom, en le remerciant.
Tom dit: "Hitch, c'est Mark Henninger, un jeune prêtre de Cleveland".
"Cleveland?" dit Hitchcock. "Scandaleux!"
Après quoi nous avons bavardé pendant un
moment, puis nous avons traversé un couloir depuis le salon jusqu'à son bureau,
et là, avec sa femme, Alma, nous avons célébré une messe paisible. En face de
moi, il y avait les volumes reliés de ses scénarios de films, Les oiseaux, Psychose, La Mort aux
trousses et d'autres. Hitchcock avait été loin de l'Église pendant un
certain temps, et il faisait les réponses en latin, à l'ancienne. Mais la chose
la plus remarquable est qu'après avoir reçu la communion, il pleura
silencieusement, les larmes coulant sur ses grosses joues.
Tom et
moi sommes retournés plusieurs fois, toujours le
samedi après-midi, parfois ensemble, mais je me souviens y être allé une fois
tout seul. Je restais un peu sans voix avec des gens célèbres et trouvais cela
un peu gênant de bavarder avec Alfred Hitchcock, mais nous l'avons fait,
agréablement, dans son salon. À un moment, il a dit: "Allons entendre la
messe".
Il avait 81 ans et avait du mal à se
déplacer, alors je l'aidai à se relever et le soutins le long du corridor.
Comme nous marchions lentement, je sentais que je devais dire quelque chose
pour rompre le silence, et le mieux que je trouvai fut: "Eh bien, Mr
Hitchcock, avez-vous vu de bons films récemment?"
Il s'arrêta et me
dit avec emphase: "Non. Quand je faisais des films, c'étaient sur des
gens, pas des robots. Les robots sont ennuyeux. Venez, allons à la messe"
.
Il est mort peu de temps après ces visites, et ses funérailles eurent
lieu à l'église catholique Good Shepherd (du Bon Pasteur) à Beverly Hills.
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Montgomery Clift et Anne Baxter, I Confess, 1953, Alfred Hitchcock |
Alfred Hitchcock est revenu dans
l'actualité récemment, à travers un portrait de lui apparemment peu flatteur,
dans une nouvelle production hollywoodienne.
Certains de ses biographes
n'ont pas été tendres non plus. La religion, elle aussi, fait l'actualité, elle
est souvent présentée sous un jour peu flatteur, parce que les croyances qui
s'affrontent sont en cause dans les guerres et le terrorisme. La violence
conduit certaines personnes à rejeter entièrement la religion. Pour beaucoup,
qui ne connaissent la religion que de cette manière - de seconde main, dans les
médias, de loin - une telle réaction est dans une certaine mesure compréhensible.
Ce qu'ils ne comprennent pas, c'est que
la religion est une affaire intensément personnelle. Saint Augustin a écrit:
"Magnum Mysterium mihi"
- Je suis un grand mystère pour moi.
Pourquoi exactement Hitchcock
demanda-t-il à Tom Sullivan de lui rendre visite, ce n'est pas clair pour nous
et peut-être n'était-ce pas tout à fait clair pour lui. Mais quelque chose a
murmuré dans son cœur, et les visites ont répondu à un profond désir humain, un
vrai besoin humain. Qui de nous est sans ces besoins et désirs?
Certaines personnes
trouvent suspect ces retours tardifs vers la religion, un signe de faiblesse ou
de quelqu'un qui "perd la tête". Mais rien ne concentre l'esprit
autant que la mort. C'est une longue tradition qui remonte à l'antiquité des memento mori, "souviens-toi que tu dois
mourir". Pourquoi? Je pense qu'en faisant face à la mort, on peut enfin
voir sobrement, clairement ou non, des vérités manquées pendant des années, ce
qui finalement est important.
Peser sa vie avec son lot de blessures
subies et infligées dans une telle perspective, et chercher la réconciliation
avec un Dieu que l'on a connu et qui pardonne, me semble profondément humain.
La réaction extraordinaire d'Hitchcock en recevant la communion était le visage
de l'humanité et de la religion réelles, loin des manchettes… ou des cinéastes
et des biographes d'aujourd'hui.
Un des biographes de Hitchcock, Donald Spoto, a écrit que Hitchcock lui avait fait savoir qu'il
"n'avait permis à aucun prêtre ... de lui rendre visite, ou de célébrer
une messe informelle chez lui". Que, dans ses derniers jours, le
réalisateur ait délibérément et avec succès fait croire à des gens de
l'extérieur exactement le contraire de ce qui s'est passé, voilà qui est du pur
Hitchcock.
Mark Henninger
Wall Street Journal, 6 décembre 2012