Le printemps de la Révolution |
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Pierre Victurnien Vergniaud par Louis-Jacques Durameau, 1792
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Vous dites « Lamartine », et,
aussitôt, surgit le fantôme d'un poète oublié dont vous reste à peine en
mémoire le célèbre Lac, avec sa demande de suspension du
temps et sa mélancolie de deuil, « un seul être vous manque et tout est
dépeuplé ». Vous constatez que son action politique, pourtant cruciale dans la
révolution de 1848 (c'est lui qui a imposé le drapeau tricolore), ne l'a pas
conduit au Panthéon. Vous êtes encore plus surpris de savoir que sa monumentale
Histoire des Girondins a été un best-seller, dont presque plus personne ne
sait de quoi il traite sur plus de deux mille pages : le cœur de la Révolution
française. Lamartine révolutionnaire ? Impossible. Mais si.
Hugo a écrit de lui : « Son
éloquente et vivante Histoire des
Girondins vient, pour la première fois, d'enseigner la révolution à la
France. » Eh bien, avec la réédition de ce livre devenu introuvable, il serait
temps de réenseigner ce que tout le monde fait
semblant de connaître à travers des clichés. D'où vient la République ? Sur ce
sujet capital, Michelet est un auteur de génie, mais il reste un professeur,
alors que la prose inspirée et très documentée de Lamartine vibre, dramatise,
respire. On voit ces jeunes acteurs incroyables en train de bouleverser le
vieux monde, et, au fond la planète entière, d'inventer une nouvelle ère en
parlant jour et nuit, complots, contre-complots, accusations, arrestations,
exécutions publiques, flots de sang, héroïsmes divers. Avons-nous le droit de
nous déclarer les héritiers de cet événement sans pareil ? Osons regarder le
pays actuel et voir sa misère.
Les portraits en situation, tout
est là. Voyez Mirabeau : « Son éloquence, impérative comme la loi, n'est plus
que le talent de passionner la raison. Sa parole allume et éclaire tout.
Presque seul dès ce moment, il eut le courage de rester seul. » Danton : « Les
vices de Danton étaient héroïques, son intelligence touchait au génie. Tout
était moyen pour lui. C'était l'homme d'État des circonstances, jouant avec le
mouvement sans autre but que ce jeu terrible, sans autre enjeu que sa vie, et
sans autre responsabilité que le hasard. » Marat : « Sa logique violente et
atroce aboutissait toujours au meurtre. Tous ses principes demandaient du sang.
Sa société ne pouvait se fonder que sur des cadavres et sur les ruines de tout
ce qui existait. Il poursuivait son idéal à travers le carnage, et pour lui le
seul crime était de s'arrêter devant le crime. »
Marat a encore ses partisans, qui
se recueillent devant le tableau de David le représentant assassiné par
Charlotte Corday dans sa baignoire. Charlotte Corday, Manon Roland, Olympe de
Gouges, voilà les femmes du parti girondin qui devraient rentrer au Panthéon
sans attendre. Mais d'où viennent ces Girondins qui vont tous être guillotinés
pendant la Terreur ? Voici leur chef, Vergniaud : « La facilité, cette grâce du
génie, assouplissait tout en lui, talent, caractère, attitude. Une certaine
nonchalance annonçait qu'il s'oubliait aisément lui-même, sûr de se retrouver
avec toute sa force au moment où il aurait besoin de se recueillir. » Cet
avocat de Bordeaux est un des grands orateurs de la Convention (ses discours viennent
d'être publiés par les Éditions Mollat, à Bordeaux).
Contrairement à l'énigmatique Robespierre, il ne lit pas ses textes, il
improvise librement. On connaît son mot sublime : « Plutôt la mort que le
crime. » Sa dernière parole, avant d'être arrêté et condamné, alors que les
cris tentent de couvrir sa voix, est la suivante, non moins sublime : « Ceux
qui ne veulent pas m'entendre craignent la raison. » À travers lui, vous
entendez Montaigne, La Boétie, Montesquieu, Condorcet, bref les Lumières. «
Vergniaud, écrit Lamartine, était républicain par éloquence plus que par
conviction. » La Montagne écrasant la Gironde, voilà le tableau, que peut
résumer le mot de Manon Roland (qu'adorait Stendhal) montant à l'échafaud : « Ô
liberté, que de crimes on commet en ton nom ! » Comme Vergniaud, elle a refusé
de s'empoisonner pour mourir en révolutionnaire face au peuple. Après le
massacre des Girondins, elle déclare froidement aux juges qui viennent de la condamner
à mort : « Je vous remercie de m'avoir trouvée digne de partager le sort des
grands hommes que vous avez assassinés. » Et voici Charlotte Corday montant au
supplice : « Le ciel s'était éclairci. La pluie, qui collait ses vêtements sur
ses membres, dessinait, sous la laine humide, les gracieux contours de son
corps, comme ceux d'une femme sortant du bain. » Le bourreau brandit sa tête
coupée et la gifle. Elle rougit.
Avant leur exécution, les
Girondins, en prison, organisent un dernier banquet. On a conservé les prix du
fossoyeur : « Pour vingt et un députés de la Gironde : les bières, 147 livres; frais
d'inhumation, 63 livres; total 210. » Le plus étonnant, c'est qu'ils vont tous
chanter « la Marseillaise » jusqu'au dernier. Vingt têtes coupées devant lui,
le dernier guillotiné peut être salué comme ayant un système nerveux peu
ordinaire. Ils ne chantent pas « l'étendard sanglant de la tyrannie » mais le «
couteau sanglant ». Le tyran visé est, bien entendu, Robespierre, dont la fête
de l'Être suprême (mise en scène par David) n'empêche pas la grande Terreur
qui, partout, fait ruisseler le sang.
« Leur marche et leur agonie,
écrit Lamartine, ne furent qu'un chant. » Ils avaient été révulsés par les
massacres de Septembre et le culte de la « déesse Raison » (une actrice en
voiles transparents sur l'autel de Notre-Dame - première manifestation Femen - les aurait laissés froids), de même que l'Être
suprême. Lamartine conclut ainsi: « À peine leurs têtes eurent-elles roulé aux
pieds du peuple, qu'un caractère morne, sanguinaire, sinistre, se répandit, au
lieu de l'éclat de leur parti, sur la Convention et sur la France. Jeunesse,
beauté, illusions, génie, éloquence antique, tout sembla disparaître avec eux
de la patrie. La Révolution avait perdu son printemps. »
PHILIPPE SOLLERS
Histoire des Girondins,
par Alphonse de Lamartine, édition établie par Anne et Laurent Theis, préface de Mona Ozouf,
Robert Laffont, Bouquins, 2014
L'Infini n°127, été 2014
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