Le seul antimaoïste sérieux
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Mao et Malraux, 1965 |
Mao par Andy Warhol, 1972 |
Mao individu, Mao sujet m’intéresse. Cette façon de transformer son corps, dans
l’espace et le temps, me semble des plus insolites. Il commence comme une mince
jeune fille ramassée, continue avec des airs de prophète sobre dans sa grotte,
grossit, insiste sur sa verrue, « signe bouddhique » (selon la
belle expression de Malraux), grossit encore et, à ce moment-là, commence à
flotter comme un de ces ballons lâchés les jours de fête sur la place de la
Paix-Céleste. Et puis, il devient tout simplement une feuille morte. Étonnantes
dernières images où il passe au ralenti maximal, à côté de Nixon, de Pompidou,
du Pakistanais de service. Mao, technicien du spectacle. La poignée de main, de
plus en plus évanescente, détachée, comme s’il disait : « Je vous
fais le coup du vide », « Je suis ignorant, je ne connais pas
les langues étrangères. » Et c’est vrai, Mao savait qu’il était
« peu instruit ».
Sauf qu’à ce moment-là on se demande ce que savent exactement les gens présents
avec lui sur la scène. Mao parlant d’astronomie avec Bettencourt !
Demandant à Chou si les œuvres de Laplace sont traduites en chinois ! (Il
est vrai qu’en chinois cette phrase de Laplace serait épatante : « Si
l’on ajoute au mouvement moyen du premier mouvement satellite le double du
mouvement moyen du troisième, la somme sera exactement égale à trois fois le
mouvement moyen du second. »
)
Mao dans les médias, les bandes
dessinées, Mao-Warhol, Mao vestimentaire, Mao star.
Autrement dit : un style. Tout le monde est
jaloux, c’est un fait de signature, le bruitage augmente ; les transferts
s’accentuent. Mao acteur, Mao concis, Mao précis. La dernière boutade de Mao.
La dernière phrase de Mao. Deux lignes, et c’est la tempête.
Philippe Sollers
Le Nouvel Observateur,
20 septembre 1976
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