Extraits
HUGO
Il faut
que je l'avoue : depuis quelques mois, angoissé par l'importance de l'élection
présidentielle française, je me suis mis à faire tourner les tables, à la
recherche d'un contact direct avec Victor Hugo, lequel, on le sait, s'est
beaucoup livré, en son temps, à cette divination de l'ombre. Je me disais, non
sans raison, que les écrivains restent sourdement solidaires à travers la
légende des siècles. Hugo es-tu là ? C'est moi. Mon guéridon est léger, il
craque bien, mes partenaires féminines sont magnétiques, mais l'au-delà des
ondes est très encombré. Tout de même, Hugo a fini par se manifester, et j'ai
transcrit ses réponses, dictées par petits coups secs, et parfois en
alexandrins.
Il a
commencé par voter Ségo, Hugo, peut-être à cause de la
rime, mais surtout parce qu'il avait été flatté qu'elle cite Les Contemplations comme une de ses
lectures préférées. Hugo trouvait Ségo belle,
émouvante, énergique, lyrique, une vraie figure de la République en marche, et
son cri de meeting, « Dressez-vous vers la lumière ! », avait galvanisé son
spectre. Pour Hugo, qui ne s'est jamais embarrassé de programmes détaillés et
vaseux, Ségo, à ce moment-là, incarnait le rêve.
Inutile de dire que les socialistes, dans leur ensemble, lui paraissaient des
notables plats, surtout les éléphants, à propos desquels il se montrait
implacable. Oui, la France méritait une Présidente, oui, une lumière d'amour
brillait sur son front.
Dans les
jours qui ont précédé l'élection, j'ai senti Hugo plus réticent. Dans les ondes
aussi, il y a des sondages. Malgré mes demandes pressantes, Hugo se dérobait
et, parfois, refusait carrément de répondre. Des coups faibles, confus. Impossible
de lui tirer un commentaire sur Bayrou, par exemple, là, silence de mort. Sur Sarko, une étrange réserve. Une fois, cependant, à propos
de Ségo : « Waterloo, Waterloo, sombre plaine. »
Grand silence, ensuite, lors de l'élection triomphale de Sarko,
rien sur le Fouquet's, la Concorde, le yacht Paloma au large de Malte. Et puis,
récemment, ce simple et beau distique, frappé de façon particulièrement nette :
« La France était très moisie,
Elle méritait Sarkozy. »
Un
châtiment, donc ? L'annonce d'une résurrection possible ? Là-dessus, motus, no comment. Hugo ne répond plus, et je
dois dire que je suis épuisé par cette traversée des mondes.
27/05/2007
PAPE
Le collège
des Bernardins, superbement rénové, est une merveille architecturale, au même
titre que Notre-Dame, ce joyau de l'increvable croyance. Là, le pape Benoît XVI
a fait un tabac devant un parterre culturel de sourds. J'ai tendu l'oreille de
loin, et je l'ai entendu dire des choses qui m'ont réellement ému. Exemple : «
Le désir de Dieu comprend l'amour des lettres, l'amour de la parole, son
exploration dans toutes ses dimensions. » Parfait, c'est ce dont je m'occupe
jour et nuit avec persévérance. Et puis ceci, message codé : « Il en est
réellement ainsi, en réalité, à présent, le logos est là, le logos est présent au
milieu de nous. » Ça, croyez-moi, c'est très fort, mais comme l'a dit le
personnage principal de toute la pièce, « il n'est pires sourds que ceux qui ne
veulent pas entendre ». Je sais de source sûre, moi, ce que le Pape pensait
durant son travail épuisant : retrouver ses appartements, son piano, ses
partitions de Mozart. Faire constamment de la géopolitique et guérir les
malades, c'est bien, mais Mozart, c'est-à-dire Dieu lui-même, c'est mieux.
21/09/2008
ARGENT
Je décide
de me mettre dans la tête d'un banquier d'aujourd'hui en pleine crise,
c'est-à-dire dans le système nerveux d'un trader mondial. C'est lui qui parle :
« Ma force
est celle de l'argent. Les qualités de l'argent sont mes qualités et mes forces
essentielles. Ce que je suis et ce que je peux n'est donc nullement déterminé
par mon individualité. Je suis laid, mais je peux m'acheter la plus belle
femme. Donc je ne suis pas laid, puisque l'effet de la laideur, sa force
repoussante, est annulé par l'argent. [...] Je suis méchant, malhonnête, sans
conscience, sans esprit, mais l'argent est vénéré, donc aussi son possesseur.
L'argent est le bien suprême, donc son possesseur est bon ; l'argent m'évite en
outre d'être malhonnête et l'on me présume honnête. Je n'ai pas d'esprit, mais
l'argent est l'esprit réel de toute chose ; comment son possesseur pourrait-il
ne pas avoir d'esprit ? »
Comme
c'est bien dit. Mais je dois à la vérité de préciser que ces lignes ont été
écrites en 1844, et proviennent des manuscrits d'un certain Karl Marx. N'allez
surtout pas me dénoncer pour avoir cité ce nom maudit. Comme chacun sait, il
est temps de refonder le capitalisme. Ces milliards qui partent en fumée ont
fait long feu. Le capitalisme financier était une simple perversion du système,
et les parachutes dorés, les paradis fiscaux, doivent être repeints dans
l'urgence. Tout doit changer au plus vite pour que tout continue d'une autre
façon. Vous êtes comme moi : vous étiez parti pour gagner plus en travaillant
plus, mais il faut maintenant sauver les banques, donc vous travaillerez plus
pour renflouer plus. Et ne me parlez pas d'abattre le capitalisme, il est
indestructible par définition. Ça n'empêchera pas (mais ils sont prévus au
programme) quelques illuminés de prétendre qu'il faut réinventer et purifier le
communisme, ce précieux allié du capitalisme d'autrefois. Allez, la musique.
26/10/2008
CULTURE GENERALE
La
suppression de l'examen de culture générale à Sciences-Po a fait couler
beaucoup d'encre. Mais enfin, assez d'hypocrisie : lorsque Sarkozy s'est laissé
aller à traiter par-dessus la jambe La
Princesse de Clèves, j'ai vu beaucoup d'indignés qui n'avaient jamais
ouvert ce chef-d'œuvre de leur vie. On sait que la formation des étudiants doit
être avant tout pratique, et leur adaptation aux marchés financiers
automatique. Pourquoi les embêter avec la culture ? Ils ont leur culture à eux,
et vous n'allez pas leur faire perdre leur temps avec l'histoire, la peinture,
la musique, la littérature.
Je propose
autre chose aux médias, radios et télévisions : toute personnalité politique
sera interrogée pendant cinq minutes en direct sur des œuvres incontournables.
Que Bayrou réponde sur l’Olympia, de
Manet, Hollande sur les Mémoires de
Casanova. On sera curieux d'entendre Eva Joly sur Les Fleurs du Mal, de Baudelaire, avec récitation de deux vers qui
vibreront sous son charmant accent. Marine Le Pen sera étonnante à propos de Guernica, de Picasso. On pourra juger de
l'ouverture d'esprit du laïcard Mélenchon en lui
demandant ce qu'il pense de sainte Thérèse d'Avila. Le triste François Baroin devra s'exprimer sur André Breton, et la sémillante
Valérie Pécresse sur Sade.
Nadine Morano improvisera sur Un
bar aux Folies Bergère de Manet, et Sarkozy sur Les Demoiselles d'Avignon de Picasso. On osera demander à Anne
Sinclair ce qu'elle éprouve en relisant Les
Liaisons dangereuses. Marielle de Sarnez, avec
son beau visage de martyre, se confiera sur La
Religieuse, de Diderot. On piégera Villepin avec une citation
particulièrement tordue de Rimbaud. Christine Boutin fustigera Céline, et
Jean-François Copé, Aragon. Le prochinois Raffarin devra expliquer rapidement
les moments forts de l'érotisme asiatique. François Fillon, enfin, dira en
quelques mots ce qu'il pense de Marx, Rachida Dati de
Freud, et Carla Bruni de Nietzsche. Alain Juppé confessera, pour finir, son
goût pour les vins du Médoc et Jean-Louis Borloo son addiction à l'eau
minérale.
29/01/2012
POÉSIE
Les
enfants, à l'école, devront réciter, chaque matin, un poème de Michel
Houellebecq, notre grand écrivain national, « le plus lu dans le monde entier
». La presse est unanime et enthousiaste. Houellebecq, aujourd'hui, c'est Hugo, Baudelaire, Lautréamont, Mallarmé et Verlaine, en plus clair et en
plus populaire. Les spécialistes vous le disent à chaque instant, vous pouvez
leur faire confiance.
19/04/2013
RÉCITATION
Voici ce
que seront les récitations émouvantes des enfants, tirées des chefs-d'œuvre de
Houellebecq :
« Ainsi, générations souffrantes,
Tassées comme des puces d'eau,
Essaient de compter pour zéro
Les capteurs de la vie absente,
Et toutes échouent, sans trop de
drame
La nuit va bien recouvrir tout
Et l'épuisement monogame
D'un corps enfoncé dans la boue. »
Je
m'arrête. Je pleure. Je ne grandirai jamais. Je me débats dans la boue.
19/04/2013
MORALE
Rien de
plus nécessaire que l'introduction de la morale laïque à l'école. Je souffre
encore, aujourd'hui, de ne pas avoir connu cette formation élémentaire. De là,
un parcours erratique et contradictoire, un manque de sérieux et un humour mal
placé, tout cela aggravé par des lectures dont l'immoralité n'est plus à
prouver. L'immense poète communiste Paul Éluard trouvait déjà que les Fables de La Fontaine étaient
foncièrement immorales. Il avait raison. Je ne suis pas fier d'avouer à la
commission de contrôle que j'ai adoré me réciter à haute voix Les Fleurs du Mal, du réactionnaire
Baudelaire, sans oublier les monstrueuses inventions du marquis de Sade, lues
en cachette de mes professeurs. On ne m'a pas assez appris à me méfier de ces
influences délétères. J'étais anarchiste à cinq ans, surréaliste à douze et,
immanquablement, ultragauchiste par la suite, avant de célébrer, ultime
provocation, la grande intelligence perverse des jésuites. Mon cas aurait pu
être évité, dès le jardin d'enfants. Je ne connais pas de formule plus
dangereuse que celle de Rimbaud : « La morale est la faiblesse de la
cervelle. » Veillons à ce qu'elle ne soit pas reprise de nos jours.
26/04/2013
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