mars 2009

Philippe Sollers

Le journal du mois

Philippe Sollers

Pape

 C’est décidé, il le faut, je prends en main, en secret, la communication du pape. Assez de criailleries, de pleurnicheries, un peu d’autorité que diable ! D’abord, un coup de balai : les renseignements sont nuls, le service de presse somnole, on a eu tort de freiner les jésuites, à moins qu’eux-mêmes ne soient endormis à l’ombre de l’Opus Dei. Et voici mes premières mesures.

D’abord, nouvelle excommunication du sinistre négationniste Williamson, avec excommunication automatique des évêques qui ne ratifieraient pas cette sanction. Ensuite, messe solennelle à Rome, en l’honneur de la fillette brésilienne violée et enceinte de jumeaux par son beau-père, accompagnée par sa mère avorteuse réhabilitée. De là, je passe à une distribution massive et gratuite de préservatifs préalablement exorcisés. Je continue avec la nomination d’une douzaine d’évêques gays (mais pas pédophiles), avec autorisation de prêcher l’amour sous toutes ses formes dans les cathédrales du monde entier. Un clin d’œil aux orthodoxes, un autre aux bouddhistes, un éloge furtif de Mahomet, un voyage triomphal en Israël, avec repentance renouvelée, et un bémol sur Jésus-Christ, lequel a peut-être trop forcé son opposition au rabbinat de l’époque. Pour finir, je ramasse l’adhésion des protestants en annonçant un concile Vatican III, avec élection démocratique d’un nouveau pape moderne, après des primaires rassemblant plus d’un milliard de votants.

Benoît XVI n’a qu’à dire qu’il a eu une révélation, et que son nouveau programme, un peu surprenant au premier abord, lui vient directement de Dieu. Si, après toutes ces mesures immédiatement célébrées par les médias, je n’obtiens pas un renversement des sondages et 80 % d’opinions favorables, je démissionne. Mais, là, coup de théâtre miraculeux : la Vierge Marie apparaît à Lourdes à une fillette illettrée, violée par son père et son beau-père, et se prononce, au nom de l’Immaculée Conception, pour la contraception, l’avortement, le remariage religieux des divorcés, l’homosexualité, l’homoparentalité, le préservatif exorcisé, et même pour ma béatification future. Je rédige rapidement le récit de la petite paysanne, le livre fait un tabac, et je verse intégralement les droits à l’Eglise catholique clandestine de Chine, qui a des difficultés majeures, loin du règne obsédé de la sexualité.

Le Pape Benoît XVI

Mauriac

Certains titres du journal Le Monde m'intriguent. Un jour, c'est “fanfaronnades” à propos d'un livre très sérieux de moi; un autre jour, c'est “torpeur” au sujet d'un essai magnifiquement réveillé par mes deux camarades Haenel et Meyronnis (1).

Mais cette fois, en gros caractères, je lis : “Mauriac, homosexuel torturé“. Sous-titre : “Une vie que l'on croyait édifiante“. Tout à fait entre nous, cette formule me paraît très exagérée, et même peu convaincante. En réalité, la splendide névrose créatrice de Mauriac ne pouvait que le tenir à l'écart de la sexualité qui le dégoûtait profondément. C'est grâce à ce dégoût qu'il est un bien meilleur romancier que Gide, et que les plus réussis de ses romans dévoilent l'obscurantisme des bourgeois et des mères de famille de province. Sans Le Nœud de vipères ou Génitrix, nous ne saurions pas grand-chose de cet enfer. Mais c'est sans doute ici le Mauriac catholique et politique ultra-lucide qui est visé par ce titre racoleur, le Mauriac décapant et très gai, pas du tout torturé, avec qui dîner, autrefois, était une fête. J'ai vu Mauriac dans son agonie : sa foi religieuse était profonde, il était d'une grande sérénité. Ici, un peu de Baudelaire en hommage à Mauriac : “Ce monde a acquis une épaisseur de vulgarité qui donne au mépris de l'homme spirituel la violence d'une passion. Mais il est des carapaces heureuses que le poison lui-même n'entamerait pas.“

Hugo

La vente des deux bronzes chinois volés, en 1860, lors du sac du palais d’Eté, à Pékin, par l’armée anglaise de la reine Victoria et la française de Napoléon III, a fait couler beaucoup d’encre. Doit-on restituer ces œuvres à Pékin ? Ce serait bien. En tout cas, dès 1861, le grand Victor Hugo a dit ce qu’il fallait dire sur le vandalisme occidental face à une merveille du monde construite par un « peuple presque extra-humain », « une éblouissante caverne de la fantaisie », qu’il compare au Parthénon d’Athènes, aux Pyramides d’Egypte, au Colisée de Rome et à Notre-Dame de Paris. Hugo enfonce le clou : « Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. »

Baudelaire

Dans Mon coeur mis à nu, relu sans cesse, Baudelaire note : « Tout journal, de la première ligne à la dernière, n’est qu’un tissu d’horreurs, guerres, crimes, vols, impudicités, tortures, crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers, une ivresse d’atrocité universelle. Et c’est de ce dégoûtant apéritif que l’homme civilisé accompagne son repas de chaque matin. Tout en ce monde sue le crime : le journal, la muraille et le visage de l’homme. »

Baudelaire exagère, bien sûr, mais il y a des moments où l’exagération est nécessaire. Ceci encore à propos de Napoléon III : « En somme, devant l’histoire et devant le peuple français, la grande gloire de Napoléon III aura été de prouver que le premier venu peut, en s’emparant du télégraphe et de l’imprimerie nationale, gouverner une grande nation. Imbéciles sont ceux qui croient que de pareilles choses peuvent s’accomplir sans la permission du peuple, et ceux qui croient que la gloire ne peut être appuyée que sur la vertu. »

Philippe Sollers

 

(1)Yannick Haenel et François Meyronnis, Prélude à la délivrance. Editions Gallimard, collection L’Infini, 207 p., 18,50€.


Le Journal Du Dimanche n°3246 du 29 mars 2009.

 

 

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