« L’homme de Lascaux était un
artiste de génie, la Bible est toujours vivante, la Révolution française
s'approfondit, Hegel continue très étrangement d'exister, les galaxies fuient à
toute allure, les marchés financiers délirent, le terrorisme fait rage, la
pensée et la poésie chinoises n'ont jamais été aussi passionnantes, les dieux
grecs ne demandent qu'à vous parler, une sérénité incroyable peut être
trouvée. »
Ph.S. |
LE TEMPS DES ECRIVAINS par Christophe Ono-Dit-Biot France culture, 9 avril 2016
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La négation de la négation… avec Hegel
Philippe Sollers poursuit son « jeu » à décrire la société de son temps de façon très critique. «Qu’arriverait-il à la pensée s’il n’y avait plus personne pour penser ? » Rien, répond Philippe Sollers dans Mouvement. L’écrivain a pris cette fois-ci Hegel comme grand homme de compagnie, comme il avait pris Nietzsche dans Une vie divine (Gallimard, 2006). Hegel parce que celui-ci connaît à fond la Révolution française et l’esprit du christianisme… Heureusement, le narrateur a rendez-vous avec Lénine, dans un rêve extraordinaire, où le grand révolutionnaire – en grande forme – semble très au courant de toute l’histoire du XXe siècle, jusqu’à ces jours-ci, au XXIe siècle… Tout est humour chez Philippe Sollers Jeu. C’est ce que fait Sollers depuis toujours ; en tout cas depuis qu’il écrit des livres – depuis 1958, très exactement, quand il a publié Une curieuse solitude, ce premier roman qui avait tant plu à Aragon (et à Mauriac !). Aussi bizarre que cela puisse paraître, Philippe Sollers aurait même tendance à se dire « ermite » (c’est ce qu’il fait dans Un vrai roman. Mémoires, qu’il a publié en 2007, chez Plon). Dans Mouvement, il raconte qu’il a lu, très jeune, le livre absolument admirable de Georges Bataille : Lascaux ou la naissance de l’art ; et aussitôt, qu’il avait foncé vers la grotte enchantée… Il y est toujours : au milieu des taureaux, des bisons, des vaches, des bouquetins, des chevaux, des rhinocéros, des cerfs, des blasons, dans le flamboiement des couleurs, où il a entendu un énorme son qui n’a jamais quitté sa mémoire, raconte-t-il… C’est le génie de l’homme de Lascaux, sa spontanéité insoumise, disait Bataille, dont Sollers a souvent dit que, de tous les personnages rencontrés, c’est lui, et de loin, qu’il admire le plus. Le dernier des écrivains heureux : Roland Barthes avait dit ça à propos de Voltaire. Mais la fête chez Sollers continue. C’est le même programme : décrire la société de son temps de façon très critique, en étant toujours ironique, mais jamais apocalyptique (ou alors, c’est que l’apocalypse est une énorme bouffonnerie, dit-il). Tout est humour chez Sollers. De cette façon, l’esprit n’en est pas à une épreuve près : « Après avoir traversé l’océan du cinéma, il dépassera aisément le tourbillon du Web », annonce-t-il. C’est la dialectique qui veut ça. Entendez : la négation de la négation, c’est-à-dire l’infini lui-même selon Hegel.
Didier Pinaud, L'Humanité du 23 Juin, 2016 |