« Où en sommes-nous avec Nietzsche »
entretien avec Philippe Sollers
propos recueillis par Frédéric Joignot
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On parle
beaucoup aujourd'hui de l'actualité de Nietzsche, lui qui se voulait «
inactuel », « intempestif ». Comment expliquez-vous cela?
- Qu'est-ce que cela
signifie, l'actualité inactuelle de Nietzsche? Vous savez que je suis
partisan d'adopter le calendrier que Nietzsche a proposé dans sa « Loi contre le christianisme », où il
désigne le 30 septembre 1888 comme le premier
jour de l'an 1 du « Salut », Salut étant écrit avec un « S » majuscule. Et donc, le 30 septembre
prochain, nous serons en 124... Je défends
ce nouveau calendrier car celui que nous adoptons n'est plus qu'un
calendrier économico-politique. Il est
chrétien, soit, mais même si vous vous situez tout à fait en dehors du
christianisme, vous ne ferez pas une transaction financière en la datant du « 15 mai 123 », ce ne serait pas
recevable. C'est-à-dire que le monde entier
suit le calendrier de Grégoire XIII. Il faut considérer cette affaire assez
sérieusement. .. Cela demeure malgré
tout bizarre, dérangeant, de dire que nous appliquons tous le
calendrier d'une religion à laquelle nous n'adhérons pas nécessairement,
et cela d'un bout à l'autre de la planète mondialisée. L'extrême actualité de
Nietzsche se situe là, il ironise, il se dit intempestif, autrement dit, il
nous interroge sur le temps. « Où en
sommes-nous avec le temps? » C'est la fameuse question
qu'Arthur Cravan posait à André Gide. Alors
Gide sort sa montre, et lui dit : « Il
est 6 heures un quart. » Évidemment, la question avait une portée métaphysique que Gide ne pouvait pas entendre... L'actualité
comme l'inactualité de Nietzsche nous pose
la même question : « Où en sommes-nous avec le temps? » Aujourd'hui,
nous sommes gavés d'actualités, d'informations, scotchés à ce qui
nous arrive, bombardés de nouvelles par la télévision, les radios, le Net, tout ce que vous voulez. Nous sommes submergés par ce qui se passe chaque minute, chaque seconde, en temps réel. Tous ces morts, les cadavres
dans les rues, les massacres en direct, tous les jours... Nous sommes pris dans
un vertige d'actualités...
Nietzsche se voulait inactuel pour mieux réfléchir à son époque...
Tandis que nous vivons dans une sorte d'actualité perpétuelle... Un présent permanent. Notre vie
intérieure est parasitée 24 heures sur 24 par un déluge d'informations, au
point de se demander si nous pensons encore, et si c'est même nécessaire de
penser. Nous vivons là un saut qualitatif considérable. Il y a toujours eu
des tueries sur cette planète, bien avant qu'elle soit en cours de
mondialisation accélérée, mais qu'elles forment une actualité perpétuelle
nous apprend quoi? Nous aide à penser en quoi? Est-ce
qu'on pense encore quand il n'y a plus que des faits, du calcul, et plus de
pensée, plus d'interprétation? On retrouve bien là ce que Nietzsche a
pressenti, qu'il a vécu comme vertige, cette question abyssale qu'il a posée... « Est-ce que notre époque
pense encore?»
Et qu'en dites-vous ?
- « Le désert s'accroît », disait Nietzsche. Il y a 123 ans, il posait déjà
toutes ces questions sur le nihilisme de l'époque, la misère intellectuelle
et la misère tout court, qui sont constatables partout, à chaque instant... Une
autre actualité de Nietzsche m'intéresse. C'est quand il énonce, dans la foulée de « la mort de Dieu », que, désormais, ça va être « plèbe en haut et plèbe en bas ». Autrement
dit, nous avons perdu le sens d'une hiérarchie des valeurs, du goût, des
pensées, tout ce qui définit l'ensemble d'une civilisation. Il se demande : « Qu'est-ce qui est encore noble? » Ce qu'il appelle l'aristocratie a
disparu. Bien entendu, il ne s'agit pas d'une noblesse de privilège, tombée
avec la Révolution, il ne s'agit pas non plus d'admirer les mariages princiers
ou d'applaudir la « peopolisation » à outrance,
qui sont la vulgarité même, de gros spectacles plébéiens, voracement avalés par
la foule. Voyez la grande cérémonie à Londres pour le mariage de ce prince.
Plèbe en bas, dans la foule, devant les écrans, plèbe en haut, où les people se
battent pour être assis près de la reine d'Angleterre. Qu'est-ce qui est noble
? Ce n'est donc pas une noblesse de
privilège ou de nouveaux riches, de stars, mais la noblesse d'esprit, la
nouvelle déclaration des droits de la noblesse d'esprit, des esprits libres
libérés de « l'instinct de troupeau ». Et où la trouve-t-il? Chez les Grecs
bien sûr. Mais aussi dans l'esprit français, les Lumières françaises. Il admire
Voltaire, à qui il dédie Humain, trop humain, Voltaire qui a pour lui la
qualité du Grec antique, la vitesse d'esprit, le goût pour le style, l'intérêt
pour la langue mais aussi l'humour, l'insolence française et ce refus de
l'abêtissement religieux...
Vous avez écrit un article sur le thème « Nietzsche, miracle français ».
Qu'avez-vous voulu dire?
- Nietzsche, c'est l'art suprême de l'aphorisme, cet art prisé par les grands moralistes français,
La Bruyère, La Rochefoucauld, Vauvenargues... J'ai aussi remarqué, ce qui
semble inaperçu, que plus il vieillit, plus les mots français se multiplient
dans ses textes, notamment le mot « décadence ». Cet art de l'aphorisme,
qui n'a l'air de rien, exige une condensation,
une concision extrême, et Nietzsche se prend de passion pour cette
manière française, qu'il apprécie aussi chez Montaigne et Pascal... C'est
un bonheur de se rappeler qu'une telle pensée, à la fois précise, riche, faite
de sentences brèves, fortes, ironiques, ait existé. À l'époque où nous vivons,
celle de l'interconnexion universelle, du Net, des tweets, des
SMS, nous assistons à une généralisation des phrases utilitaires,
des textes courts, des expressions tronquées, bref, à un véritable
appauvrissement du langage dans la communication instantanée. Or, le fait de
pouvoir émettre des pensées remarquables sous une forme compacte, dans une
sorte de vitesse profonde, c'est là un des enchantements que procure la
lecture de Nietzsche. C'est comme un défi qu'il nous lance. Il écrit des longs
passages, et puis, brusquement, il s'interrompt pour livrer une rafale d'aphorismes...
Il déploie une poétique, un véritable style, tout en demeurant un moraliste
puissant. C'est là son « miracle français ». Il voulait se
débarrasser de la lourdeur, de l'emphase
de la philosophie allemande, sans parler de sa polémique fondamentale
avec Wagner, qui lui a coûté beaucoup d'efforts... L'actualité de
Nietzsche? Eh bien, c'est un écrivain qui se veut français...
Georges Bataille aussi a vu en Nietzsche un frère d'esprit...
-C'est sans
doute le seul écrivain français qui a eu
pour Nietzsche une sorte de dévotion, j'allais dire quasiment
religieuse. Je trouve très émouvant que Bataille ait confectionné ce petit
livre, Mémorandum, qui est fait de citations de Nietzsche. Il brûle
d'une sorte de fidélité pour Nietzsche, sauf que Bataille vit une expérience
d'angoisse profonde, jusque dans
l'érotisme, qu'il décrit proche de la mort. Alors que Nietzsche, surtout les derniers temps, délivre son
terrible diagnostic sur son époque au nom de
la joie, d'un hymne à la Vie...
Ce diagnostic du nihilisme, de la morbidité de notre temps, voilà
encore l'actualité de Nietzsche?
-Nietzsche
disait qu'il fallait exiger trois qualités chez quelqu'un qui se mêlait de penser. D'abord, se situer en dehors de
l'université. Cela va de soi. Vous savez de quel poids pèse la «
cléricature » universitaire sur les esprits, partout, et surtout en France,
avec sa « république des professeurs ».
Vous n'avez pas le droit de penser en dehors de la Faculté. Moi-même, je ne suis pas censé penser, comme beaucoup d'autres... La seconde qualité exigée par
Nietzsche est d'être un bon philologue. S'intéresser au plus près aux textes, à
la langue, au style. La troisième est le coup d'œil médical. Sans ces trois qualités, vous ne penserez
pas très loin, vous resterez un « âne » comme il dit, qui porte le poids des
idées reçues... Faire le diagnostic de son époque. Il n'est pas le seul. Un autre médecin de l'âme fait
sensation ces mêmes années, ils ont même une amie commune, Lou von Salomé, c'est un certain
Freud, qui va parler d'un « malaise dans la civilisation ». Le coup
d'œil médical de Nietzsche, ce regard porté
sur l'homme depuis la « grande santé », repérer ceux qui renient la vie,
détestent la joie, s'effraient du tragique, tout cela apporte un éclairage
féroce sur notre époque. Je récapitule : pour bien penser donc, fuir
l'université, philologie au plus près des grands textes, regard médical, tout
ceci pour reconnaître à qui on a affaire, à...
... à
des grands malades ou pas?
(Éclat de rire.)... Oui, à des grands malades.
Ouvrez les yeux, dit Nietzsche, regardez bien, la Terre a une maladie qui s'appelle l'Homme, cet être souffrant,
malheureux, mais surtout, cette créature qui aime tant souffrir... Ça, c'est
blasphématoire. Car Nietzsche dit aimer Stendhal, un autre Français. Or, quelle
est la clef de Stendhal? C'est, à la fin de La Chartreuse de Parme, cette
formule magnifique : « Nous les heureux,
les peu nombreux », autrement
dit nous les « happy few » perdus au milieu d'une foule de très nombreux
malheureux. Et Nietzsche va plus loin. Pour lui, les hommes ne sont pas malheureux par la faute des autres,
ou d'un gouvernement despotique, non, derrière la plainte, il voit le
nihilisme, le masochisme. Il pense que les hommes sont malheureux «par leur faute »! Ça, ce n'est pas du tout
chrétien. Si vous dites ça aujourd'hui, dans un monde où l'on vous vend
interminablement de la plainte, où prospèrent, comme disait Guy Debord, « ceux qui sont toujours prêts à prolonger la plainte des opprimés », vous êtes
très mal vus. Vous allez contre « les prédicateurs de la mort », comme les appelle carrément Zarathoustra. Autrefois, le clergé se chargeait d'entretenir la plainte, il a fait ses
preuves dans le déni de la vie et de
la libre-pensée, avec constance, très longtemps. Mais vous en avez un
autre aujourd'hui. Vous pouvez l'appeler comme vous voulez, « les intellectuels
», par exemple. C'est un clergé en France. Des employés qui prolongent le
malheur, l'entretiennent, des fonctionnaires de l'information triste, ou, comme dit Debord encore, « les salariés
surmenés du vide ». Aujourd'hui,
nous assistons à une véritable industrialisation de la plainte et du vide. Je l'entends sans cesse dans les
médias. Attendez-vous à ce que la presse aille de plus en plus dans ce sens...
Plainte, perte de pensée, éloge du vide, mariages princiers, people, publicité... C'est la logique même du nihilisme annoncé par Nietzsche. Nous aimons le vide, nous aimons le
malheur. Un autre esprit français, La
Boétie, l'ami de Montaigne, parlait très justement de « la
servitude volontaire ». Nietzsche aiguise cette pensée, il insiste
sur la « volonté » de cette servitude. Plutôt « vouloir le rien » que ne
rien vouloir, dit-il. Voilà la définition même du nihilisme d'aujourd'hui.
Plutôt un lent suicide, ne rien vouloir de grand, de noble, d'exaltant, rester
dans le ressentiment et la jérémiade, sans affirmation de valeurs fortes, sans vivre des choses fortes,
c'est-à-dire la vie vécue comme une mort lente. Ou alors, le suicide
immédiat, à répétition, comme à France
Télécom, ou alors le kamikaze qui se fait exploser quelque part au Pakistan ou ailleurs. Choc des civilisations, choc
des religions, dit-on aujourd'hui. Choc des
incultures, faudrait-il dire... Il ne s'agit pas de faire de
l'apocalypse bon marché, ou du « déclinisme », le diagnostic comporte toujours, dans
sa radicalité négative, une contre-proposition.
D'où l'actualité de Nietzsche encore. Je vous fais mon diagnostic, je vous
montre l'esprit de vengeance, le ressentiment, la volonté de vide, et
puis je vous parle du surhomme et de l'éternel retour...
De supposer un éternel retour de nos actes, c'est aussi se demander : « Que faites-vous de votre
vie? »
-
C'est la grande question. Que faites-vous de votre vie, de votre corps? Et
c'est là où les dernières années de Nietzsche apparaissent vraiment
extraordinaires. Tout se passe en cinq ans, 1883-1888, comme j'ai essayé de le
montrer dans Une vie divine. Qu'est-ce qui se passe? Il marche quatre,
cinq heures par jour, se nourrit frugalement, habite dans une petite
pension de famille, il est obligé d'écouter tous les jours les conneries de ses
voisins, donc il se retire dans sa chambre. Il écrit tout le temps. Et puis il
envoie les manuscrits à son éditeur, va à la poste, reçoit les épreuves, les
corrige, les renvoie. Tout ça, dans une indifférence quasiment totale. Il
publie. Personne ne répond. Il annonce
des choses extraordinaires. Tout le monde s'en fout. Cela rappelle
la fin de vie de Mozart. Une fécondité impressionnante, dans un dénuement
terrible. C'est l'époque où il compose Le Mariage de Figaro, Cosi fan tutte, Don Juan, La Flûte enchantée, Titus... Cosîest un opéra flamboyant
et joyeux, j'allais dire nietzschéen. Pourtant,
au même moment, Mozart est criblé de dettes, il emprunte à son épicier,
il est très malade. Comme Nietzsche. Et pourtant, ils écrivent des
chefs-d'œuvre admirables. Nietzsche loue la lumière du Sud, Venise. À la fin,
il a des formules tout à fait étonnantes, il se demande s'il n'aimerait pas «
les petites femmes de Paris » (où il n'est jamais allé), il conserve un
esprit de fête, il loue la Vie et Dionysos, le dieu dansant, sans parler de son
ironie mordante, sa défense du goût et cette gaieté. Il écrit : « Reste avec
nous, ne nous abandonne pas, frivolité. »
Une vision très noire de Nietzsche a longtemps circulé, comme s'il
n'avait pas été le philosophe du dionysiaque...
- L'actualité de
Nietzsche, ce sont aussi toutes les récupérations falsificatrices de son œuvre. Sa sœur, les nazis, Hitler, les fascistes
italiens, ou encore les fatwas communistes dénonçant un idéologue de la force. C'est à se demander : «
Mais l'ont-ils lu? Où est passé le texte? » C'est la grande question. Qui sait
encore lire? N'importe quel psychanalyste vous dira qu'aujourd'hui la plainte
la plus entendue sur le divan, c'est : « Je n'arrive pas à lire plus de vingt
ou trente lignes... Et même celles-là, je les oublie. » C'est pareil pour les
récupérations de gauche, le fameux nietzschéisme de gauche, alors que ces deux mots se dissolvent dès
qu'ils sont prononcés.
Nietzsche fait une critique acérée de certaines idées de gauche, comme
l’égalitarisme et le socialisme d'État...
À son époque,
celle de la Première Internationale, du Manifeste du parti communiste, de
Marx et de Bakounine, le socialisme se développe, devient autoritaire, et,
pour Nietzsche, il s'agit de la continuation du rousseauisme. Lui aime Voltaire, pas Rousseau. Il faut regarder
de près... Voltaire est détesté par la droite puisqu'il n'est pas dévot, il
n'est pas aimé par la gauche parce qu'il est mort riche. Bref, Voltaire est haï partout, comme Nietzsche. Ce n'est
pas un hasard si Nietzsche écrit : « Voltaire, l'homme le plus
intelligent avant moi! » C'est dit avec humour, bien sûr, mais il le pense.
Il voit en lui la noblesse d'esprit dont nous parlions, une noblesse ouverte à
tous, pour qui veut, qui n'a rien à voir avec l'égalitarisme de Rousseau et du contrat social... D'ailleurs, Nietzsche ne propose pas un
programme politique et social, il ne bâtit pas un système de pensée, une idéologie, il n'offre pas une vision
pour des croyants divers. Il vous donne tout
ce qu'il faut pour aller à contre-courant de ce qui est seriné à chaque
instant. Est-ce qu'il est élitiste? (gros soupir) Stendhal,
qui parle des rares gens heureux, est-il élitiste? « Songe, lecteur
bénévole, à ne pas haïr et à ne pas avoir
peur... » écrit-il dans sa
préface à Lucien Leuwen. « Lecteur bénévole
»... Personne ne vous oblige à
découvrir le bonheur de lire. Nietzsche est-il élitiste? Pour
commencer, il déteste ceux qui lui font la morale...
La « moraline»,
dit-il...
- Il critique sans arrêt la moraline.
Je sais de quoi je parle. On me verse au moins trois verres de moraline par jour. Sans que les gens en soient forcément
conscients. C'est instinctif, une seconde nature. Tout est jaugé, jugé,
apprécié, en fonction de la morale, « la faiblesse de la cervelle » comme
dit Rimbaud magnifiquement. C'est-à-dire, aussi, l'hypocrisie même. Car nous possédons un corps, il y a de la jouissance, c'est cela que rappelle Nietzsche constamment,
la morale restreint le corps, la morale parle du corps, la morale se déguise...
Son livre Par-delà bien et mal a toujours été
mal interprété. Cela ne veut pas dire que le bien
est négligeable, ou qu'il veut faire du mal un bien. Cela signifie qu'il
existe une position philosophique évitant d'être sans cesse dans un type
d'évaluation morale, moralisante, ou calculatrice... Vous connaissez
l'expression qui revient sans cesse aujourd'hui : « On va vous évaluer ». La
rentabilité a envahi la morale, elle
devient la nouvelle morale. L'évaluation technique du profit, du
résultat, se fait toujours au nom de la morale, maintenant. Je vais vous dire
le chiffre juste, le bon résultat chiffré,
c'est-à-dire le bien. Or, comme le montre Nietzsche, il existe
d'autres critères pour réfléchir au bien et au mal, au-delà de cette morale
étouffante.
Après le diagnostic,
Nietzsche propose quelques remèdes malgré tout...
- Dans L'Antéchrist, un texte extraordinaire, quand il
proclame la fin du christianisme et notre entrée dans l'ère du Salut, il nous annonce la guérison. Nous
avons enfin trouvé l'issue, dit-il, exalté, après deux milliers d'années.
Nous sortons enfin de ce labyrinthe de l'ère chrétienne, du protestantisme et
de sa haine de la vie. C'est, pour Nietzsche, une espèce d'illumination, il n'y
a pas d'autre mot. Voici l'ère du Salut. Maintenant, là, tout de suite, dans le
corps, dans ce très bizarre corps habité par le langage comme Mozart par la musique, d'une façon très difficile à imaginer. Ce
corps pris de cette frénésie de marche et d'écriture.
Ce corps saisi d'une créativité absolument invraisemblable, dans le vide,
solitaire. Essayez de marcher cinq heures par jour et d'écrire en trois
semaines Ainsi parlait Zarathoustra... Alors, il vous parle du « surhomme », il n'entend pas une quelconque race supérieure
bien sûr, il veut dire l'homme échappé du
nihilisme, l'homme redevenu créateur,
joyeux, qui a fait sien le vers de Hôlderlin, peut-être son poète préféré :«Là où croit le
péril, croit aussi ce qui sauve. » Et aussi : « Qui pense le plus profond, aime le plus vivant. »
Philippe Sollers
Le
Monde, Hors–série, Une vie une oeuvre Frédéric Nietzsche, L’Éternel retour, juin 2011
Nietzsche et la philosophie à venir
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