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Sollers en ukrainien : La Guerre du Goût, éditions K.I.S. - Kyiv, traduction de Andriy Ryepa |
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Présentation de l'éditeur ukrainien
От издателя:
Війна смаку
Ця книжка — це історія французької літератури в особистостях. Ці особистості «прокляті» для суспільства, «незручні», «жахливі» (бунт, еротизм, девіантна поведінка, витончена інтелектуальність), але, з іншого боку, вони – «великі класики», відомі нам зі шкільної парти, втілення особливого «французького духу». Філіп Солерс – відомий французький письменник, засновник легендарного літературно-критичного часопису «Тель Кель» (Tel Quel), навколо якого об’єднувалися Юлія Кристева, Ролан Барт, Жак Дерида та інші. Він переконаний, що літературна критика ззовні не може осягнути творчість письменника так, як це робить інший письменник, занурений у творчу «майстерню», тілесну самобутність і неповторне звучання стилю митця. Звідси – його поліфонічні діалоги з творцями в формі есеїв, що виходять далеко за схематичні рамки часу, історії, суспільної моралі чи цензури. «Нетрадиційну орієнтацію» в світі літератури визначає єдиний правильний дороговказ – смак. Для українського видання автор люб’язно дозволив додати есеї з двох інших книг – «Похвала нескінченності» (2001) та «Довершена промова» (2010).
https://www.yakaboo.ua/ua/la-guerre-du-gout.html
TRADUCTION:
Ce livre est une histoire de la littérature française en noms propres. Ces noms propres sont considérés comme "maudits" par la société, "inconfortables", "terribles" (révolte, érotisme, attitude anticonformiste, intelligence hétérodoxe), mais d'un autre côté, ce sont de "grands classiques", connus de l'école, et représentent l'incarnation d'un "esprit français" singulier. Philippe Solers est un célèbre écrivain français, fondateur de la légendaire revue littéraire et critique "Tel Quel", dans laquelle ont participé Julia Kristeva, Roland Barthes, Jacques Derrida et d'autres. Il est convaincu que la critique littéraire de l'extérieur ne peut comprendre l'œuvre d'un écrivain comme le fait un autre écrivain, immergé dans l'"atelier" de la création, l'identité corporelle et la musique unique faisant partie du style de l'artiste. D'où ses dialogues polyphoniques avec les créateurs sous forme d'essais qui dépassent largement le cadre schématique du temps, de l'histoire, de la morale publique et de la censure. L'"orientation non conventionnelle" dans le monde de la littérature est déterminée ici par le seul guide approprié - le goût. Pour l'édition ukrainienne, l'auteur a aimablement permis d'ajouter des essais tirés de deux autres livres - "Éloge de l’infini" (2001) et "Discours parfait" (2010).
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EXTRAIT DE LA PRÉFACE DE PHILIPPE SOLLERS
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Le roman, pour moi, n'a jamais cessé d'être la continuation
de la pensée par d'autres moyens. Le romanesque réfléchit et raconte
l'ouverture de l'existence poétique, l'interdiction ou la dégradation sociales
qu'on lui inflige, la répression ou la falsification dont elle est l'objet —
mais aussi ses grandes libertés, sa ténacité, ses lueurs. La pensée, à son
tour, médite les raisons de ces obstacles, de ces éclaircies : le tissu est le
même. J'emploie le mot guerre parce que c'est la guerre, et
que ne pas le reconnaître relève, au mieux, de la niaiserie ; au pire, du
cynisme manipulateur. Et je reprends le mot goût (oui, oui, ce
désir concret du dix-huitième siècle français, de Montesquieu à Voltaire),
parce que, tout bien considéré, l'enjeu fondamental est là. Guerre : « Je
songe à une Guerre, de droit ou de force, de logique bien imprévue. »
(Rimbaud.) Goût : « Le goût est la qualité fondamentale qui
résume toutes les autres qualités. C'est le nec plus ultra de
l'intelligence. Ce n'est que par lui seul que le génie est la santé suprême et
l'équilibre de toutes les facultés. » (Lautréamont.) On vient de
lire des mots qui sont autant de blasphèmes par rapport à la religion
technique, des mots que cette religion ressent comme des fautes, des
exagérations malvenues, des obscénités, des blessures : pensée, existence,
poétique, méditation, guerre, goût, logique, équilibre, santé, génie. Le
lecteur veut les oublier ? Il les efface de devant ses yeux ? Probable. Mais
les voici à nouveau.
(…)
La nature, la composition, la politique de ce livre ?
Laissons la parole à Clausewitz qui, après avoir noté avec froideur que la « théorie
semble plutôt un produit du danger que de la pensée », réaffirme, toujours à
point nommé, l'essentiel : « Il est absurde de prétendre que les batailles
défensives devraient se borner à parer les attaques, et non chercher la
destruction de l'ennemi. Nous tenons cet axiome pour l'une des erreurs les plus
pernicieuses, une véritable confusion entre la forme et la chose elle-même, et
nous maintenons sans réserve que, dans la forme de guerre que nous appelons défense,
la victoire n'est pas seulement plus probable mais qu'elle doit aussi atteindre
la même ampleur et la même efficacité que dans l'attaque, et que cela peut être
le cas non seulement dans le résultat total de tous les
engagements qui constituent une campagne, mais aussi dans chaque bataille particulière,
s'il s'y trouve le degré nécessaire de force et d'énergie »
Philippe Sollers
Venise, juin 1994
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