Philippe Sollers

Sollers, vite !

 

Par Valentine Dechambre

 

 

photo © Sophie Zhang

 


Point n’est besoin de mourir pour connaître les cercles de l’enfer, du purgatoire et du paradis, affirmait Philippe Sollers. C’est du rapport à la raison poétique qu’il situait ces états, décrivant l’enfer d’aujourd’hui comme le non-accès à la poésie.
Sollers a fait très jeune ce choix d’entrer directement au paradis, « pas du tout artificiel », de loger la jouissance du corps dans la littérature, d’en jouer comme d’un instrument avec son rythme, sa pulsation, ses fulgurances, ses silences…
« J’écris pour être en état de présence réelle, voilà, c’est simple » affirmait Sollers à Gérard de Cortanze, « ce n’est pas rien que d’assister au fait que des paroles changent la réalité ! »


Vivre pour dire, dire pour faire évènement : chaque année, l’annonce d’un roman à paraître – au printemps ! – donnait lieu à cet effet de joie profonde, d’une musique nouvelle en train de s’écrire. Attente impatiente d’une embarcation dans l’instant, effraction faite au temps social, objectivé, prescrit.
« Pluie de notes, clés, croches, doubles-croches, violons, sopranos, ténors, plus vite, plus vite. L’encre est à peine sèche, qu’il faut aller soulever l’orchestre et les voix ». C’est Mozart ressuscité sous sa plume, « corps plume » affirmant d’un commun accord que vivre en musique, c’est respirer. Sollers/Mozart ? Même rire irrévérencieux à l’endroit du malheur, antidote puissant à la morosité. « “Il n’y a rien à espérer du désespoir”, disait Lacan. L’espoir ne peut être compris que dans ce qui dure. L’amour et la poésie sont là pour ça. »
L’amour toujourisé, s’insemprare est sans ponctuation, signe pointé comme tel qu’on « change de raison, c’est-à-dire — on change de discours ».
De Friedrich Hölderlin de passage à Bordeaux, Sollers retiendra que « les poètes seuls, fondent ce qui demeure », et que « vivre, c’est défendre une forme. » La sienne ? « une harmonie surgie de la vitesse pure », à l’instar des Variations pour piano, Op. 27 de Anton Webern, « sublime d’intensité percutée » qu’il adorait voir et entendre jouer par Glenn Gould.


Écrire ? « Ça vient exactement comme ça doit être, c’est-à-dire, le souffle et le poignet, la main, le vent et l’eau sont à égalité. »
Sentir le souffle en soi, lui trouver une forme fut la navigation quotidienne de ce génial voyageur des mots né dans un corps asthmatique. Autrement dit, concentré dès l’enfance sur la respiration : « le corps vous manifeste ainsi qu’il est très en avance sur vous », soutenait Sollers qui trouvait que l’on ne s’intéressait pas assez au corps des écrivains. Le corps, pas l’image ! Celui de Lacan l’intéressait au plus haut point.


Relire d’urgence ce merveilleux apologue signé J.-A. Miller sur Sollers relevant Lacan au sol : « la littérature volant au secours de la psychanalyse qui se casse la figure ». Moment où Joyce le saint homme fait son entrée au Séminaire de Lacan.
« On n’est pas si seuls somme toute » écrivait Lacan à Sollers en 1966, en dédicace de son volume des Écrits.


Lors de sa disparition en 1981, Sollers lui rendait hommage en ces termes : « Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend. (L’étourdit) Drôle de Je, cette Parole. Elle exige quelqu’un. C’est tout. »

 

 

Valentine Dechambre

L'Hebdo-blog, n° 304, 5 juin 2023

 

 

 

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