Le Figaro du 21 avril 2022
De
l’Atlantide au temps retrouvé
Par Thierry Clermont
En attendant son chant du cygne qu’il nous a promis, autour
des « corps glorieux », Philippe Sollers a éclairci sa voix, qu’il a chargée de
tabac, posé ses jalons, pris quelques chemins de traverse et préparé ses
trilles, en chauffant ses vocalises. Nous l’avons rencontré à Paris, il y a
quelques semaines, le temps d’un entretien impromptu et vagabond autour de son
nouvel opus, sobrement intitulé Graal, 70 pages à peine de déambulations
littéraires et intimes autour des thèmes de l’Atlantide et de la quête de ce
fameux Graal, au gré de ses humeurs. Un nouveau gai savoir, entre baguenauderie
et rêverie, caprice et fantaisie. « Je cherche désormais l’intensité dans la
brièveté, comme Anton Webern», nous confiait-il, en
ajoutant: « Vous connaissez, j’imagine, son “Das Augenlicht”, pour chœur et orchestre: chef-d’œuvre! »
La conversation roule, mêlant évocations de son nouveau livre
et des précédents, comme Paradis, associant
flashs d’actualité aux bribes esquissées de ce Graal qu’il développe
devant nous, revenant sur quelques-uns de ses jalons cardinaux, Proust (ses
églises et ses aubépines), Sade, Gide (« Un extraordinaire masturbateur, embêté
par son christianisme.»), Bataille, Lacan. Et Rimbaud, qu’il démarque en
ouverture, à la manière d’une ritournelle inépuisable : « L’éternité est
sûrement retrouvée, puisque, comme toujours, la mer est mêlée au soleil.» Son commentaire : « Tout est maintenant immédiat, le
temps ne coule plus et le plus stupéfiant est que personne ne semble s’en
rendre compte.»
« Vaste empire merveilleux » et dont la disparition reste un
mystère, la mythique Atlantide lui permet d’aborder au fil des pages aux échos rebondissants, d’autres îles : Lesbos chantée par
Baudelaire, Corfou, Patmos, l’homérique Ithaque et sa chère Venise, qu’il a délaissée
depuis la disparition de Dominique Rolin. Et bien sûr l’île de Ré, son lieu de
retraite, où, rappelle-t-il, Choderlos de Laclos fut
en garnison et où il conçut le projet Les Liaisons dangereuses. L’occasion
pour Sollers de s’étendre sur « le grand remplacement qui a déjà eu lieu, à
savoir celui des hommes par les femmes ». De critique, son regard sur notre
monde et nos contemporains s’est fait mordant, voire acrimonieux, mais toujours
avec un certain humour. Aux souvenirs de lecture s’ajoutent les remémorations
intimistes, dans la tonalité des plus belles pages de son autoportrait Agent
secret, et livrées au lecteur, comme cette tante, une « femme atlante »,
qui l’initia par jeu à la sexualité alors qu’il était adolescent. Ou encore sa
rencontre avec le pape Jean- Paul II, à Rome, en 2000.
Au bout d’une demi-heure de conversation, il nous confesse, à
demi-mot, et dans un sourire altéré par son fume-cigarette, sa « révélation
très tardive », ainsi formulée : « La vraie vie consiste à vivre sa propre
mort. » Une manière de saisir son propre Graal, « son temps retrouvé », selon
ses mots.
Il y a bientôt un demi-siècle, au moment de la publication de son Cœur absolu,
Sollers déclarait: « L’existence est une illusion d’optique : la littérature est là pour la renverser. » On aimerait le
croire encore.
Thierry Clermont
Le
Figaro du 21 avril 2022
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