Le "mystère révolutionnaire"
Par Vincent Roy
Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803), dit « le Philosophe inconnu », voyait la Révolution française comme une « amorce » du jugement dernier. Partant, et toujours selon ce mystique français, auteur notamment de L’Homme de Désir (1790), la structure sociale est vouée à périr si elle ne s’attache pas à suivre les lois divines reflétées en l’homme. Le « pays natal » de ce curieux philosophe né à Amboise, c’est une « révélation lumineuse ». On l’écoute: « Le propre de l’être est d’être, numériquement, une continuelle multiplication spirituelle. » Louis-Claude de Saint-Martin n’est pas mort, il s’est « réintégré en éclair ». Il est aujourd’hui écrivain, il vit à Paris, où la Révolution française se poursuit sous la forme d’une révolution féministe. Il publie un roman. Titre? Désir. Nom d’auteur? Philippe Sollers. Le Philosophe inconnu s’est spirituellement multiplié. Il continue de traquer, dans le temps, dans ses vies ultérieures, le contre-désir. Il insiste sur un point capital: la Révolution française est la seule révolution, c’est- à-dire spirituelle, donc éternelle. Elle seule « brise » le temps. Les autres révolutions ne furent, en somme, pour notre philosophe, que des prises de pouvoir. Sollers-Saint-Martin, de plus en plus inconnu mais de plus en plus révolutionnaire, nous parle: « La pensée est un geste, plus ou moins entravé par les entourages et les habitudes. » Ici, à n’en pas douter, notre « illuministe » a voulu dire que, dans les conditions actuelles de température et de pression, la pensée est un geste plus ou moins censuré. Le philosophe, on l’a compris, varie ses identités mais « garde le même esprit ». Ainsi, « le cœur peut s’arrêter, la pensée vivra ». Comment? Mais oui, puisque le désir illumine et que « l’illumination écrase le temps ». Les Lumières n’en ont jamais fini de livrer leur « mystère révolutionnaire ». Et c’est bien l’objet de ce roman très incarné! Sollers, longtemps après Machiavel, est heureux lui aussi puisqu’il a « rencontré la qualité des temps ». Il l’avait dit autrement: « Le désir est un réel joyeux. »
Vincent Roy L’Humanité Dimanche du 26 mars au 1er avril 2020
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