Philippe Sollers, Légende, roman
Les représentants du vieux Dieu mort et de la vieille littérature sont destitués, mais continueront à parler et à écrire comme si de rien n’était, ce qui est sans importance, puisque plus personne n’écoute ni ne lit vraiment. Les Banques, le Sexe, la Drogue et la Technique règnent, la robotisation s’accélère, le climat explose, les virus poursuivent leurs ravages mortels, et la planète sera invivable pour l’humanité dans trente ans. Malgré tout, un nouveau Cycle a déjà commencé, et les masques tombent. À vous de juger.
à paraître en mars 2021 aux éditions Gallimard, c’est-à-dire en 133 de l’Ère du Salut. |
26/9/2020 Mon cher Philippe, Tu m’a confié « Légende », début septembre et je l’ai lu (pardon pour ce léger retard) avec beaucoup d’attention. Car si ce roman est bref, il est riche de ton intelligence et se nourrit parfaitement de tes passions. Le lecteur sera d’accord avec toi quand tu cites Schlegel : « l’ironie est la claire conscience de l’agilité éternelle et la plénitude infinie du chaos ». Aujourd’hui, « la bête, devenue progressiste et la propagande puritaine ont fait leur nid dans la nouvelle Trinité Technique. » Tout est dit pour nous faire toucher le fond du chaos infini. Devant ce fracas millénaire, gardons le silence, restons en contemplation pour « trouver le nouveau dans le cœur brûlant de l’ancien ». J’ai aimé tes dernières pages qui sont d’une tonalité intime, comme dans une disposition testamentaire du père vers le fils et réciproquement. Voilà donc la légende non des siècles mais du millénaire ! Avec joie de te publier en mars avec, si toi et Isabelle sont d’accord, ton essai prévu dans Traits et Portraits. Je t’embrasse – Antoine
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LÉGENDE
Entretien avec Philippe
Sollers
— Dans quel sens comprendre le titre "Légende" ?
Au sens étymologique de « ce qui doit être lu ? Ou encore au sens de
« texte qui accompagne et explique une image » ?
— Ce qui doit être lu sonne comme une nouveauté considérable
au moment où l’on peut dire qu’une multitude de livres ne demandent pas d’être
lus. Lire est une activité de plus en plus ruinée par le numérique, et, ne
serait-ce que pour cela, le titre a été choisi consciemment. Le texte qui
accompagne et explique une image me convient aussi dans la mesure où le livre
est le commentaire d’une image constante en mouvement. Mais, plus sérieusement
encore, c’est un volume métaphysique en dialogue avec "La Légende des siècles" de Victor Hugo, ce dernier étant convoqué à plusieurs reprises en tant que
personnage romanesque.
— Peut-on lire ce livre comme un manuel
de survie face au rétrécissement de nos vies imposé non seulement par le(s)
confinement(s) actuel(s), mais aussi, plus profondément, par la robotisation,
la déshumanisation technologique ?
— Je crois que vous avez tort de parler de « nos
vies ». J’évite autant que possible de résister à la tendance
réaliste actuelle d’employer le « nous ». Parler de « nos
vies » me paraît absolument scandaleux. Il n’y a qu’une seule vie pour
chacune et chacun. Si quelqu’un accepte le rétrécissement de sa vie en dehors des besoins
matériels, ça veut tout simplement dire qu’il « survit » et ne vit
pas.
— Vous écrivez (dans le chapitre "Désennui", p. 37) « L’enfer est moderne, le
paradis est classique ». Un rappel des valeurs humanistes, de la nécessité
d’un retour à l’essentiel pour retrouver le sens de la vie ?
— Surtout pas des « valeurs
humanistes ». Je me moque sans cesse de l’auteur actuel le plus propagandisé et que j’appelle précisément Nosvaleurs. Nosvaleurs a réponse
à tout. Nosvaleurs est républicain, Nosvaleurs est progressiste, Novaleurs est de gauche, Nosvaleurs est moral et vous explique
tout d’une façon moralisante, Nosvaleurs s’indigne
tous les jours. Et je ne parle pas seulement de Pierre Nosvaleurs,
auteur considérable, mais peut-être surtout de Caroline Nosvaleurs,
qui est aussi pénible que son mari. Je n’ai absolument pas besoin d’un retour à
l’essentiel pour retrouver le sens de la vie. L’essentiel je le respire chaque
jour.
— Vous évoquez un ouvrage alchimique du XVIIe siècle, "Les douze clefs de la philosophie", en
convoquant au passage André Breton et René Guénon. Voyez-vous dans l’ésotérisme
un continent perdu de savoirs et de sagesses qu’il est temps d’explorer ?
— Merci pour cette question qui est absolument centrale. Je
crois être le seul romancier à participer du savoir que vous évoquez et
qui est en général parfaitement méconnu et refoulé. Ce n’est pas par hasard que
j’ai fait dans "Désir", mon précédent roman, l’étude de Louis-Claude de
Saint Martin, dont vous vous souvenez qu’il a été appelé « le philosophe
inconnu ». Je ne pense pas qu’on puisse « explorer »
l’ésotérisme. C’est un continent en effet perdu, mais que l’on peut convoquer
comme une force indestructible. J’ai toujours en tête la dédicace qu’André
Breton m’a envoyée en 1962 pour la réédition des "Manifestes du surréalisme": « Pour Philippe Sollers, aimé des
fées ». C’était un expert. Je parle beaucoup de cette magie des
rencontres.
— Vous publiez simultanément un autre ouvrage, à caractère
autobiographique celui-ci, "Agent secret" – cet « agent secret » n’étant
nul autre que vous-même. De quelle manière "Légende" et "Agent secret" se répondent-ils (ou se complètent-ils) ?
— "Agent secret" est un récit biographique qui comporte beaucoup de photos de pans
entiers de mon existence, surtout enfantine. S’y ajoute le récit de quelques
une de mes rencontres les plus singulières qui ont pris chaque fois une forme
de révélation. Autre envoi qui m’a singulièrement touché, lorsque Lacan
photographié ici avec moi en 1975 au sortir de son séminaire sur Joyce, m’a
envoyé ses "Ecrits" avec la dédicace
suivante : « On n’est pas si seuls somme toute. » C’était pour
souligner, bien sûr, à quel point on est seul, ce qui est la particularité d’un
agent secret, c’est-à-dire de quelqu’un qui doit pouvoir se glisser dans
plusieurs identités, y compris contradictoires, et devenir ainsi une
légende.
PHILIPPE SOLLERS
Bulletin Gallimard, mars-avril, 2021
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Philippe Sollers, la littérature absolue ("Légende" et "Agent secret"), entretien avec Arnaud Jamin, Diacritik |
Philippe Sollers dans l'émission de Claire Chazal "Passage des arts", 02/03/2021 |
Code Sollers, par Philippe Lançon, Libération du 20 mars 2021 |
Les Variations Sollers, par Fabrice Gabriel, Le Monde du 16 avril 2021 |
Le Figaro du 25 février 2021 |
Artpress 489, par Jacques Henric |
Vanity Fair, avril 2021, par Arnaud Viviant |
Remède à la mélancolie par Eva Bester Philippe Sollers : "Le bonheur est un acte de courage"
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photo: Francesca Mantovani/Gallimard
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Bernard Pivot, Le Journal du Dimanche du 7 mars 2021 |
Le courage d'être heureux, par Judith Housez, Série limitée, les Échos |
Philippe Sollers, l'Ulysse aux mille ruses, par Pierre de Gasquet, Les Échos |
Philippe Sollers, le singulier pluriel par Josyane Savigneau, Les Echos Week-End, 4 juin 2021
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Être assis dans l’oubli par Paul-Henri Moinet, Le Nouvel Économiste, 01/04/2021 |
L'Arche, mai - juin 2021, entretien par Josyane Savigneau |
par Olivier Rachet | par Olivier Rachet |
"Un monde de livres" à propos d’Agent Secret et de Légende |
SIMULTANÉMENT : |
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Collection Traits et portraits, Mercure de France |
« L'ironie
est la claire conscience de l’agilité éternelle, et de la plénitude infinie du chaos. »
Frédéric Schlegel,
né en 1772 à Hanovre et mort en 1829 à Dresde, fondateur de l’Athenaeum, 6 numéros de 1798 à 1800.
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Livres Hebdo N°7, mars 2021 |
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Philippe Sollers "Agent secret" Entretien avec Colette Fellous, éditrice de la collection "Traits et portraits" au Mercure de France. Vidéo: Librairie Mollat 04/03/2021 |
Désir, roman, parution en folio : mars 2021 En couverture : Fragonard, Les Progrès de l'amour, Le rendez-vous, 1771 - 1773, New York, Frick Collection |