L'âme
amoureuse
Philippe Sollers traverse plus de vingt ans
d'amour clandestin avec Dominique Rolin. Deux écrivains mêlant l'écrit à la
vie.
Il existe des
amours qui évoluent loin des sentiers battus. Cette bulle n'appartient qu'à
ceux qui l'ont façonnée au fil des années. Pourtant Philippe Sollers a décidé
de la partager, plus de cinq ans après la mort de sa bien-aimée. Une façon de
raviver une histoire unique. Celle qui l'unit à Dominique Rolin. Ces deux
géants de la littérature se rencontrent en 1958. Le jeune auteur (22 ans)
s'éprend rapidement de la quadra belge, qui signe déjà une belle œuvre
romanesque. Chacun a ses démons et ses chagrins, mais « le bonheur, c'est le malheur renversé. »
Il les
étreint pleinement, comme en témoigne la correspondance enflammée de Philippe
Sollers. Son parti pris a été de publier la première partie de ces 256 lettres
choisies, écrites entre 1958 et 1980. Dans quelques mois, on aura droit à la
version de Dominique Rolin, si présente entre ces lignes. Leurs échanges
pourraient s'inscrire dans le registre de l'intime, si ce n'est qu'ils
présentent aussi deux écrivains en chantier. « Il faut être né pour ça, n'est-ce pas? L'écriture, c'est notre yoga,
c'est ce qui nous permet de nous maintenir sur la corde raide. » Elle est
centrale dans leur relation, tant ils s'épaulent et s'admirent mutuellement.
Sollers est en pleine composition de Paradis,
sa plume se heurte cependant aux enfers. Non seulement Rolin le soutient, mais
elle connaît tout aussi bien ce chemin escarpé.
« Toi qui as eu
l'invraisemblable insolence de recommencer, d'avancer. Tu as gagné, Shamouth, et j'ai progressé grâce à toi. » Elle est son
encre et son ancre. «Tu es mon point
vivant. » Celle à qui il peut confier ses doutes, ses joies ou ses idées
sur l'époque. Soudés en pensée, ils sont séparés à la ville, puisque Philippe a
épousé Julia Kristeva. Peut-on aimer deux femmes à la fois ? Visiblement oui.
Tantôt solaire,
tantôt crépusculaire, Sollers se livre dans sa nudité la plus sincère.
Émouvant, ce recueil se veut un chant amoureux. Il est rythmé par le manque et
l'envie de se réinventer. «Mon amour, on
a vraiment fondé un pays qui n'existe pas, et qui, pourtant, existe davantage
que toutes les régions de la planète. Pays d'espace-temps-page, de lignes et de
lettres, réglé par une vibration qui n'en finit pas. »
Kerenn Elkaïm
LIVRES
HEBDO N° 1148
3 novembre 2017
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