« SEXUELLEMENT,
MACRON A TOUT
COMPRIS »
NICOLAS MONIER : Maître, nous nous
interrogeons sur les notions d'une sexualité « bankable », fruit d'une véritable course à la rentabilité. Qu'est-ce que cela vous
évoque?
PHILIPPE SOLLERS : Nous avons un héros qui, à l'âge de seize ans, a eu
la chance de rencontrer une femme qui avait vingt-quatre ans de plus que lui.
Il a donc fait cette expérience fondamentale pour un jeune homme d'avoir
affaire à une femme qui avait déjà trois enfants. Elle s'appelle Brigitte. Lui,
Emmanuel. Et tous les deux sont désormais à l'adresse où vous pouvez les
joindre, c'est-à-dire au palais de l'Élysée. J'estime que cette expérience
précoce qui s'est tenue à l'ombre de cours de théâtre dans un lycée jésuite
privé, La Providence, est tout à fait capitale pour comprendre la séduction du
nouveau président et le coup d'État technique qu'il vient d'opérer. Tout jeune
homme qui n'a pas fait ses classes dans cette dimension ne comprendra rien à
l'existence sexuelle et sera dépassé par les femmes qui sont en train de
s'émanciper et de prendre le pouvoir. Elles le prendront d'autant plus que
dorénavant la reproduction sera une pure et simple affaire technique, ce qui
les soulagera de se prêter à une sexualité qui la plupart du temps les révulse,
même si elles font semblant de s'en contenter. Donc je dirai : Macron a tout compris !
Comment l'homme de lettres que vous êtes analyse
les comportements amoureux ou sexuels de nos jeunes concitoyens?
Les jeunes gens
d'aujourd'hui, s'ils sont mâles, sont d'autant plus à côté de la plaque s'ils
sont hétérosexuels. D'une certaine façon, l'expansion de l'homosexualité
masculine est une voie possible de cette nouvelle répartition de la séparation
des sexes. Aujourd'hui, entre les sexes, c'est la guerre ! Au café, je regarde
les jeunes femmes se « selfiser » l'une l'autre à
n'en plus finir. Elles se montrent leurs photos. Il n'y a plus personne pour
regarder ou pour parler dans ce qu'on nommait autrefois la conversation. Il n'y
plus d'Autre. Il y a un narcissisme généralisé garanti par l'image de soi en
train d'être consultée sans arrêt. Les garçons, eux, continueront à avoir
quelque chose qui ressemble à une communication verbale. Mais le concept de
drague est absolument obsolète. C'est fini ! Il s'agit de rapport entre images.
L'image de soi répercutée sans arrêt par soi-même, ce qui permet une anesthésie
profonde. On est dans le réglage de la communication instantanée. Et puis dans
la perte de toute lecture personnelle. Cette passivité vous entraîne dans une
porosité infectée par l'information constante.
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Vous dressez un bilan assez noir finalement.
Cette guerre des sexes ! On a quand même le sentiment que la sexualité a connu
un âge d'or aujourd'hui révolu?
La sexualité des jeunes
gens n'est pas pauvre, elle est quasiment inexistante. Ça se donne des airs de
liberté alors que la sexualité ne peut s'exercer que dans une stricte
clandestinité. Dans une stricte intimité. Dans un strict échange. Vous pouvez
tout faire. Si vous pouvez tout faire, ce n'est pas la peine de le faire !
L'époque est tout à fait régressive et tout à fait réactionnaire. Vous savez
qui j'ai trouvé récemment sublime comme jeune fille ? Jelena Ostapenko lors de la finale dames de Roland-Garros !
J'étais en extase ! Cette femme est sublime. J'aurais dû l'enlever ! (Rires.)
Elle a vingt ans, elle est lettone. Elle est éblouissante et sensuelle au
dernier degré. Surtout lorsqu'elle tape avec son revers croisé. L'avenir
appartient aux jeunes femmes, les jeunes garçons sont niaiseux. Les femmes sont
très vite au courant de leurs intérêts. Au niveau planétaire, l'avenir
appartient aux jeunes Chinoises. Leur pays devient la première puissance
économique mondiale. Les jeunes Chinoises sont déjà d'une maturité
extraordinaire et ne trimballent pas la vieille névrose occidentale. Elles sont
dans une émancipation paritaire, sans cette religion monothéiste qui entraîne
son lot de refoulements divers.
TECHNIKART, été
2017
Dernier ouvrage paru : Beauté (Gallimard, 2017)
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